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ISSN: 1570-0178

Volume 6, Issue 1 (16 December 2004)



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L'art populaire de Mufwankolo

Entretien et spectacle transcrits et traduits par
Ghislain Gulda El Magambo Bin Ali et Pascal Maloji Kabemba ( alias Pascal de Saint Malo),
revu par Mutonkole Lunda Wa Ngoyi,
présenté par Alain Ricard


 

"Je ne mourrai pas sans cravate": Introduction par Alain Ricard

 

Entretien avec Mufwankolo

Sketch: Mambo ina nipita (Je suis depassé par les problèmes)

Suite de l'entretien

 

 

"Je ne mourrai pas sans cravate":
Introduction par Alain Ricard

 

Je ne mourrai pas sans cravate ...
Mufwankolo à Lubumbashi en mai 2003.

Je présente ici une recherche sur le théâtre en kiswahili du Katanga, en me concentrant sur la personnalité et la troupe de Mufwankolo. Ce groupe a donné lieu à deux ouvrages: en 1981, Walter Schicho a étudié le swahili de Lubumbashi à travers les enregistrements des pièces radiophoniques du groupe ( Le Groupe Mufwankolo, Vienne, Institute fur Afrikanistik, 1981). En 1988, Johannes Fabian, professeur à l'Université d'Amsterdam a proposé à Mufwankolo de produire une pièce sur un thème expérimental et il a donné un commentaire de ce travail dans Power and performance ( University of Wisconsin Press, 1990) qui est sans doute l'un des textes fondateurs de l'anthropologie de la performance à la fois par la qualité des commentaires et l'acuité de la réflexion épistémologique.



Mufwankolo en train de défiler dans les rues de Lubumbashi durant le festival 'Le Temps du théâtre' en 2003


Mon propos actuel était de concentrer mon attention sur la carière et sur l'art de Mufwankolo lui même- de son vrai nom Odilon Kyembe Kaswili-, sur le comédien et sur son jeu. Je me proposais de réaliser un entretien avec lui, de recueillir deux pièces contemporaines et de montrer la réaction des jeunes à son art. A l’occasion d’un stage que j’animais sur la dramaturgie, en mai 2003, pour le compte du Centre culturel français ( La Halle de l’Etoile), dirigé par Gilles Roussel, j’ai collaboré avec l’association des Vicanos, en particulier Ghislain Gulda El Magambo, Pascal Malodji Kabemba, Patrick Mudokorzi Bulonza, David Douglas Masamuna Ntimasiemi. Tous participaient au stage, tous avaient moins de trente ans ; ils avaient été retenus sur dossier pour leur compétence universitaire et pour leur activité d’animateur de troupes. Tous mentionnaient, outre le français, le kiswahili et le lingala parmi les langues qu’ils connaissaient. Je devais découvrir à l’occasion de ce travail qu’ils avaient une réelle compétence dans le cinéma et le montage vidéo. Ils connaissaient et appréciaient le travail de Mufwankolo et ont abordé mon projet avec respect pour le maître.



Les Vicanos


En 2002 et 2003, les Vicanos, tout comme Mufwankolo avaient participé au temps du théâtre, un festival organisé par le Centre culturel français et à ces occasions Mufwankolo avait montré qu’il restait à la fois le doyen et le fleuron du spectacle katangais. Le projet de l’entretien était de mettre en rapport à l‘occasion d’un dialogue, le doyen du spectale katangais ( né en 1935) l’éternel jeune homme cravaté Mufwankolo - d’où le titre !-, et des jeunes gens actifs dans la vie culturelle lushoise actuelle. Le fait que ces derniers acceptent mon projet était déja un témoignage du respect qu’ils portaient à leur aîné. L’entretien s’est effecté dans les salles vides de la bibliothèque, le samedi 10 mai 2003 ( La Halle de l’Etoile), qui attendait son inauguration. Nous avons eu l’idée d’une petite mise en scène : Mufwankolo entre, cherche entre les rayonnages vides, rencontre les jeunes gens membres du club, converse avec eux ( pages 1 à 16). Puis le groupe se présente donne un échantillon de son talent (le sketch), enfin tout le monde change de salle et la conversation continue, cette fois avec tous les acteurs. L’entretien a été enregistré et filmé ; le texte qui suit est la transcription de l’ entretien et du spectacle qui suivit, effectuée par les membres du Vicanos club de Lubumbashi, puis traduit par Gulda et Pascal, et la traduction revue par Mutonkole Lunda wa Ngoyi, chef de travaux à l’université.
La graphie utilisée n’est pas celle qui est enseignée au Congo, mais celle qu’ils utilisent dans leur pratique courante et quotidienne du kiswahili.

Cette forme d'art est fondée sur le dialogue, sur la conversation et la conception du monde qui se dégage du débat verbal quotidien. Les comédiens sont les maîtres de cette mise en dialogue problématique de la vie qui est mise à distance, donc point de vue critique. Ce point de vue n'est pas unique, il est multiple, souvent dialogique, il peut laisser ainsi entrevoir des échappées hors de cette pensée unique qui veut que le pouvoir se mange entier, titre du spectacle étudié en 1990 par J. Fabian... Cet art se nourrit d'un langage quotidien partagé, donc véhiculaire, commun, connu, voire médiatisé. Ces arts proclament une forme d'autonomie du sujet qui cherche une voix pour son discours, et qui enracine cette voix dans la capacité à raconter des histoires. Les voix et les récits doivent prendre corps: pourquoi est ce le corps mobile, délié et fragile d'un vieil homme chaplinesque comme Odilon Kyembe, alias Mufwankolo, qui est le plus à même de porter la grande désespérance de son monde ? Les éclats de rire qui l'accueillent à chacune de ses entrées en scène sont aussi des éclairs de lucidité sur la situation difficile du pays ! Elle ne sait pas se dire autrement que dans ces histoires compliquées, qui s’interrogent sur le sens du désastre katangais : « la faute à qui ? » ( kosa ni ya nani !) se demande l’un des titres de ses spectacles.



Portrait de Mufwankolo

Dans un monde mondialisé bien peu s'intéressent à ce que ces voix africaines ont à dire, alors que beaucoup font commerce de l'imagerie "black" ( Ricard, 2004). Le concert, autre nom de ce théâtre oral, n'a d'avenir que s'il demeure un spectacle vivant mettant en scène la langue et les images de la ville. Que s'il reste dans le monde de ces jongleurs dont Dario Fo est le vivant modèle et dont le groupe de Mufwankolo est une autre figure !

(Alain Ricard)


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© Alain Ricard
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Deposited at APS: 16 December 2004
Revisions: 13 January 2005 (photo of the Vicanos and portrait of Mufwankolo added)