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Je ne mourrai pas sans cravate
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Mufwankolo à Lubumbashi
en mai 2003.
Je présente ici une recherche
sur le théâtre en kiswahili du Katanga, en me concentrant sur la
personnalité et la troupe de Mufwankolo. Ce groupe a donné lieu
à deux ouvrages: en 1981, Walter Schicho a étudié le swahili
de Lubumbashi à travers les enregistrements des pièces radiophoniques
du groupe ( Le Groupe Mufwankolo, Vienne, Institute fur Afrikanistik, 1981).
En 1988, Johannes Fabian, professeur à l'Université d'Amsterdam
a proposé à Mufwankolo de produire une pièce sur un thème
expérimental et il a donné un commentaire de ce travail dans Power
and performance ( University of Wisconsin Press, 1990) qui est sans doute l'un
des textes fondateurs de l'anthropologie de la performance à la fois
par la qualité des commentaires et l'acuité de la réflexion
épistémologique.
Mufwankolo
en train de défiler dans les rues de Lubumbashi durant le festival 'Le
Temps du théâtre' en 2003
Mon propos actuel était de concentrer mon attention sur la carière
et sur l'art de Mufwankolo lui même- de son vrai nom Odilon Kyembe Kaswili-,
sur le comédien et sur son jeu. Je me proposais de réaliser un
entretien avec lui, de recueillir deux pièces contemporaines et de montrer
la réaction des jeunes à son art. A loccasion dun
stage que janimais sur la dramaturgie, en mai 2003, pour le compte du
Centre culturel français ( La Halle de lEtoile), dirigé
par Gilles Roussel, jai collaboré avec lassociation des Vicanos,
en particulier Ghislain Gulda El Magambo, Pascal Malodji Kabemba, Patrick Mudokorzi
Bulonza, David Douglas Masamuna Ntimasiemi. Tous participaient au stage, tous
avaient moins de trente ans ; ils avaient été retenus sur dossier
pour leur compétence universitaire et pour leur activité danimateur
de troupes. Tous mentionnaient, outre le français, le kiswahili et le
lingala parmi les langues quils connaissaient. Je devais découvrir
à loccasion de ce travail quils avaient une réelle
compétence dans le cinéma et le montage vidéo. Ils connaissaient
et appréciaient le travail de Mufwankolo et ont abordé mon projet
avec respect pour le maître.
Les Vicanos
En 2002 et 2003, les Vicanos, tout comme Mufwankolo avaient participé
au temps du théâtre, un festival organisé par le Centre
culturel français et à ces occasions Mufwankolo avait montré
quil restait à la fois le doyen et le fleuron du spectacle katangais.
Le projet de lentretien était de mettre en rapport à loccasion
dun dialogue, le doyen du spectale katangais ( né en 1935) léternel
jeune homme cravaté Mufwankolo - doù le titre !-, et des
jeunes gens actifs dans la vie culturelle lushoise actuelle. Le fait que ces
derniers acceptent mon projet était déja un témoignage
du respect quils portaient à leur aîné. Lentretien
sest effecté dans les salles vides de la bibliothèque, le
samedi 10 mai 2003 ( La Halle de lEtoile), qui attendait son inauguration.
Nous avons eu lidée dune petite mise en scène : Mufwankolo
entre, cherche entre les rayonnages vides, rencontre les jeunes gens membres
du club, converse avec eux ( pages 1 à 16). Puis le groupe se présente
donne un échantillon de son talent (le
sketch), enfin tout le monde change de salle et la conversation continue,
cette fois avec tous les acteurs. Lentretien a été enregistré
et filmé ; le texte qui suit est la transcription de l entretien
et du spectacle qui suivit, effectuée par les membres du Vicanos club
de Lubumbashi, puis traduit par Gulda et Pascal, et la traduction revue par
Mutonkole Lunda wa Ngoyi, chef de travaux à luniversité.
La graphie utilisée nest pas celle qui est enseignée au
Congo, mais celle quils utilisent dans leur pratique courante et quotidienne
du kiswahili.
Cette forme d'art est fondée
sur le dialogue, sur la conversation et la conception du monde qui se dégage
du débat verbal quotidien. Les comédiens sont les maîtres
de cette mise en dialogue problématique de la vie qui est mise à
distance, donc point de vue critique. Ce point de vue n'est pas unique, il est
multiple, souvent dialogique, il peut laisser ainsi entrevoir des échappées
hors de cette pensée unique qui veut que le pouvoir se mange entier,
titre du spectacle étudié en 1990 par J. Fabian... Cet art se
nourrit d'un langage quotidien partagé, donc véhiculaire, commun,
connu, voire médiatisé. Ces arts proclament une forme d'autonomie
du sujet qui cherche une voix pour son discours, et qui enracine cette voix
dans la capacité à raconter des histoires. Les voix et les récits
doivent prendre corps: pourquoi est ce le corps mobile, délié
et fragile d'un vieil homme chaplinesque comme Odilon Kyembe, alias Mufwankolo,
qui est le plus à même de porter la grande désespérance
de son monde ? Les éclats de rire qui l'accueillent à chacune
de ses entrées en scène sont aussi des éclairs de lucidité
sur la situation difficile du pays ! Elle ne sait pas se dire autrement que
dans ces histoires compliquées, qui sinterrogent sur le sens du
désastre katangais : « la faute à qui ? » ( kosa ni
ya nani !) se demande lun des titres de ses spectacles.
Portrait de Mufwankolo
Dans un monde mondialisé bien peu s'intéressent à ce que ces voix africaines ont à dire, alors que beaucoup font commerce de l'imagerie "black" ( Ricard, 2004). Le concert, autre nom de ce théâtre oral, n'a d'avenir que s'il demeure un spectacle vivant mettant en scène la langue et les images de la ville. Que s'il reste dans le monde de ces jongleurs dont Dario Fo est le vivant modèle et dont le groupe de Mufwankolo est une autre figure !
(Alain Ricard)
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["Je ne mourrai pas sans cravate": Introduction par Alain Ricard]
[Sketch: Mambo ina nipita (Je suis depassé par les problèmes)]